Hors-champ / 2018
Hors-champ traite de manière onirique de la perte et de la disparition.
Le film montre un univers qui ne peut normalement être photographié et propose à travers le montage visuel choisi, un monde qui se joue essentiellement dans l’inconscient de chacun. Il suit un rythme très lent qui nous entraîne dans une succession d’espaces indéfinis et parfois imaginaires que l’on distingue lors des longues superpositions d’images.
Il m’aura fallu dix-huit ans avant de vouloir m’approcher visuellement du souvenir d’événements qui m’auront à la fois profondément marqués mais qui représentent également le point zéro de ma propre renaissance.
La première partie, composée en grande partie de photos anciennes tirées d’archives familiales, évoque des moments incertains où les instants passés ressurgissent de manière incontrôlée. Ces images teintées d’un bleu à la tonalité froide et sombre sont l’illustration de rêves flottants à l’ambiance parfois oppressante. Elles apparaissent et disparaissent sans que l’on n’ait de prise sur elles. C’est à la lueur de petites lumières vacillantes et diffuses qu’il faut les regarder pour deviner des formes qui évoquent le souvenir d’instants passés et parfois oubliés.
La deuxième partie, construite à partir d’images récentes illustre une lente promenade visuelle et intemporelle en noir et blanc qui nous transporte dans une série de songes éveillés. Notre esprit vagabonde au milieu de visions aléatoires mais réelles et les souvenirs de personnes et de moments disparus se mêlent à la sérénité retrouvée dans une succession de pensées libres. Cette succession d’images nous plongent dans un état de torpeur éveillé, hors du temps et du monde et redonnent brièvement toute leur contemporanéité aux événements passés.
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Dehors, la lumière brillante et brûlante t’éblouit et t’aveugle. En tes lieux, il fait si sombre que l’obscurité semble s’écouler dans les cavités de ton regard épuisé.
Tes yeux se voilent et tu glisses lentement vers un monde qui n’existe pas.
Au loin, un phare invisible balaie une dernière fois les rivages de ton esprit. Le rythme régulier de son fanal silencieux éclaire par intermittence les contours flous des lieux que tu as tant aimés.
Ta réalité s’efface et tu disparais.
Tu flottes d’une rive à l’autre à la surface d’une eau si noire et profonde que tu n’en vois jamais le fond.
Tandis que des myriades de points lumineux scintillent et t’éblouissent, plus un son ne te parvient. Le silence est glaçant et tu as soudain si froid. Les lueurs aux formes informes ne te réchauffent plus. Les choses se confondent et tu ne les comprends plus.
Deux personnes, les pieds dans la glace, semblent t’attendre. Tu te souviens lorsque tu étais enfant, il y a si longtemps, pas de corps, pas de tête mais des jambes et des pieds.
Tu as peur.
L’obscurité, une dernière fois, plus noire que d’habitude.
L’espace s’est vidé et le silence s’est fait, tu ne dis plus rien et je ne peux t’accompagner.
Sur l’autre rive, une petite maison isolée, perdue au milieu de l’immensité, semble attendre l’inconnu.
Je me tiens où le monde bascule.
L’effervescence du départ est passée. Le quai déserté est maintenant silencieux, plus de cris, plus de larmes, plus de voix, le calme.
Je reste.
Je me laisse porter par les dernières vagues, les derniers remous. Les ondulations longues et douces me bercent et je m’abandonne au creux d’une épaule comme si c’était la première fois.
Des fleurs jetées là par des mains inconnues flottent dans le vide et me font penser à toi, là-bas ou ailleurs, je ne sais pas.
Je suis ici.
Les fleurs se fondent dans le reflet d’un ciel aux mille astres qui semble pleuvoir de la poussière d’infini. Je regarde tendrement chaque étoile au fond des yeux et m’y perds comme je me perds dans la cime des arbres.
Le jour se lève encore une fois, les nuages défilent et je les observe comme toi qui le faisais si souvent.
Je vis, à deux, heureux.
Toi et vous en moi.
Jusqu’au jour où le vide s’installera et que plus personne ne se souviendra.